En Europe, l’image du travailleur indépendant se renouvelle. Les réalités liées à ce statut se diversifient et le modèle du freelance séduit de plus en plus de métiers.

Le travail indépendant se diversifie en Europe, et touche de plus en plus de types d’activités. Une petite révolution qui pose des questions en matière de protection sociale.

Par opposition aux travailleurs indépendants « traditionnels », les freelances n’ont pas de fonds de commerce ou de licence, ne sont pas dans une profession réglementée [médecins, avocats, etc.]. Les freelances choisissent de travailler directement avec les entreprises sans passer par la case « salarié » et refusent le lien de subordination pour plus de liberté et de flexibilité.

Si l’informatique et les professions créatives (designer, graphiste) ont été les premières concernées, le modèle du freelance se répand dans de nouveaux secteurs, grace à des plateformes qui mettent en lien travailleurs freelance et entreprises. Aujourd’hui des jobs dans le marketing, la communication, ou encore de chefs de projets, traditionnellement réservés aux salariés, peuvent être conduits par des personnes en freelance.

Autrefois associé au chômage et à la précarité, le statut de freelance serait aujourd’hui majoritairement choisi; pour 90 % d’entre eux, le travail en freelance résulte d’un choix.

Une tendance moins affirmée au niveau européen sur l’ensemble des travailleurs indépendants. D’après l’agence européenne Eurofund, 60 % des sondés auraient choisi ce statut, tandis que 20 % l’adoptent par nécessité.

De fortes disparités européennes pour le travail indépendant

Tout comme au niveau français, les catégories bougent au sein de la population des travailleurs indépendants européens. Ce statut concerne aujourd’hui avant tout des « travailleurs à leur compte stables », présents surtout dans l’administration publique et les services.

En Europe, le travail indépendant est cependant encore loin de représenter la norme. L’agence européenne recense 32 millions de travailleurs indépendants au sein de l’Union, soit 14 % de la population active. Un taux stable depuis les années 2000, mais qui cache de fortes disparités.

« La situation est très variée entre les États membres, précise Max Uebe, chef d’unité à la DG emploi de la Commission européenne, sur la base des données de l’agence européenne. « Par exemple en Grèce, la part est plus élevée, 31 % des travailleurs étant indépendants, tandis qu’au Danemark où on trouve le chiffre le plus bas, elle est de 8 %. »

Sur la division travail choisi/subi également, « dans les pays nordiques le choisi est plus développé, jusqu’à 80 % » quand « dans d’autres pays tels que la Roumanie, le Portugal ou la Croatie, le côté subi se retrouve à des taux plus élevés. »

 

Bruxelles se penche sur les dérives du travail indépendant

La Commission européenne va réformer les règles européennes sur les contrats de travail afin de mieux encadrer le travail indépendant et souvent précaire créé par les applications comme Uber ou Deliveroo.

Deliverro, Uber et consorts sont-ils des employeurs comme les autres? C’est la question à sur laquelle la Commission européenne va se pencher, alors que le nombre de personnes travaillant pour ce type de plateformes en ligne s’est multiplié ces dernières années.

La commission européenne va se pencher sur les règles liées aux contrats de travail, afin de déterminer si elles s’appliquent également aux personnes ne travaillant que quelques heures par semaines via.

L’exécutif européen entend lancer une consultation sur la meilleure manière de réformer la directive « déclaration écrite », une série de mesures adoptées en 1991 qui rend nécessaire l’existence d’un contrat écrit pour toute forme de travail.

Cette initiative s’inscrit dans un contexte de batailles juridiques concernant  la manière dont les États membres réglementeront les emplois créés par des plateformes en ligne, accusées de détourner le droit du travail en faisant appel à des travailleurs indépendants qui ne travaillent parfois pas plus de quelques heures par semaine.

Plateformes et sécurité sociale pour les travailleurs indépendants

Ces différences tiennent notamment à la part de travailleurs indépendants « vulnérables » dans chaque pays. D’après Eurofund, ces derniers représentent 17 % du total des travailleurs indépendants dans l’Union. Alors que les Européens discutent d’un socle commun de droits sociaux, la question demeure celle de l’adaptation des modèles de sécurité sociale, « que nous avons inventé, plus ou moins tous en Europe, autour du salariat », rappelle Laetitia Vitaud.

Malgré des propositions de la Commission, notamment sur l’accès à la sécurité sociale des salariés et des travailleurs indépendants, les États membres peinent à se mettre d’accord sur un sujet hautement politique.

Les acteurs du monde du travail indépendant pourraient cependant bien ne pas attendre leurs dirigeants. Plateformes et applications développent leurs services sur ces sujets, négociant directement avec les banques et assureurs.

Autre exemple, la plateforme emblématique Uber a conclu un partenariat avec une banque, ouvrant à ses chauffeurs VTC une assurance accident du travail et maladie professionnelle.

Les États membres sont divisés sur le travail indépendant

Avant de proposer une législation sur les sujets sociaux, la Commission est tenue de consulter les syndicats et le patronat. Pourtant, le 26 avril 2018, une nouvelle loi sur le congé de paternité et des modifications du congé parental a été rédigée malgré les désaccords entre syndicats et patrons.

Certains États de l’Est, comme la Pologne, refusent tout net de voir l’exécutif européen statuer sur les problématiques sociales parce que cela affecte la compétitivité de leurs entreprises face aux pays où les salaires sont plus élevés.

De leur côté, les États plus aisés d’Europe occidentale pressent la Commission d’agir pour empêcher que leurs travailleurs soient remplacés par la main-d’œuvre meilleur marché des pays de l’Est.

Le taux de chômage français, qui excède la moyenne européenne de 8,6 %, a en effet eu une place de choix dans la campagne. André Sapir, économiste au think tank Bruegel estime en effet que les élections françaises ont fait ressurgir les inquiétudes liées aux emplois précaires. Pour lui, un des avantages d’une révision du droit européen serait de réguler les contrats des travailleurs qui font la navette entre États membres.

Les annonces du 25 avril sur le socle social européen contiennent également un autre texte illustrant les divisions des États. Le document de réflexion sur l’avenir de l’Europe sociale présente trois scénarios possibles : les États membres ne veulent aucune politique sociale commune, certains pays veulent un socle commun, ou les 27 (sans le Royaume-Uni) sont prêts à collaborer à ce niveau.

L’exécutif souligne que « des règles communes déterminant le statut des travailleurs des plateformes numériques » ne pourraient voir le jour que si les États membres choisissent la plus ambitieuse de ces options.

Les eurodéputés en veulent plus

Maria João Rodrigues, l’eurodéputée socialiste et ancienne ministre portugaise de l’Emploi qui a rédigé le rapport parlementaire à ce sujet, estime pourtant que cela ne suffit pas.

Le 25 avril, elle a passé huit heures à rencontrer différents commissaires au Berlaymont, le siège de la Commission. Elle a ensuite déclaré à Euractiv avoir l’impression d’avoir convaincu les commissaires de proposer une révision des règles sur les contrats d’ici la fin de l’année. Un porte-parole de l’exécutif a en effet indiqué que Jean-Claude Juncker annoncerait des modifications d’ici là.

L’eurodéputée insiste cependant sur le fait qu’une simple révision des règles ne suffirait pas à répondre aux exigences du Parlement sur l’amélioration des conditions de travail. Si les syndicats et associations patronales ne parviennent pas à un accord sur la réforme de la directive, la Commission devrait faire abstraction de leur avis et proposer une nouvelle directive sur les conditions de travail, l’accès aux soins de santé et une rémunération décente, assure-t-elle.

« Le marché du travail change de manière radicale à cause de la révolution numérique. De nouvelles formes d’emploi apparaissent partout en Europe. Dans de nombreux secteurs, de plus en plus de personnes travaillent via des plateformes en ligne », souligne-t-elle.